7.10.11

Badinter et l’abolition de la peine de mort

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Badinter et l’abolition de la peine de mort : « Au Sénat, en 1981, rien n’était joué »




Mitterrand élu le 10 mai 1981, l’abolition de la peine de mort est-elle acquise ?
Le soir des législatives, le 22 juin 1981, l’affaire était entendue. L’abolition interviendrait dans la législature. Mais quand ? Je deviens alors ministre de la Justice. Je succède à Maurice Faure. Et très vite, dès mon second conseil des ministres, je sollicite un entretien au Président. « Déjà ! » me dit-il. Je l’informe que depuis son élection, trois nouvelles condamnations à mort ont été prononcées. Les Français restent majoritairement hostiles à l’abolition. Les jurés des cours d’assises seront d’autant plus enclins à condamner à mort qu’ils seront sûrs que le Président va gracier.

Ce qui risque de compliquer l’adoption de l’abolition ?
Plus le temps passera, plus l’abolition sera en effet politiquement difficile. Je lui fais valoir ensuite que je n’imagine pas une seconde qu’il m’ait nommé garde des Sceaux pour que je préside aux destinées d’une justice qui condamne à mort. Mitterrand a donc immédiatement décidé de réunir en septembre le Parlement en session extraordinaire. À l’ordre du jour : l’abolition de la peine de mort. À l’Assemblée le vote était acquis d’avance avec une majorité absolue de gauche. Ce fut un beau débat rhétorique mais l’abolition ne pouvait pas nous échapper. Au Sénat, par contre, rien n’était joué.

Le pronostic est défavorable ?
La majorité sénatoriale est de droite et très hostile à Mitterrand. Elle est encore marquée par les débats sur la loi « Sécurité et libertés » de Peyrefitte. Le moment, me disait-on, n’est pas venu d’abolir. Il fallait attendre que le sentiment d’insécurité disparaisse. Trente ans après, on y serait encore ! La première ruse utilisée par certains sénateurs de droite fut de proposer d’inscrire l’abolition dans la Constitution, en sachant que jamais nous ne l’obtiendrions. À la Commission des lois il n’y a pas eu d’accord. Douze voix contre douze. Le jeu s’ouvrait. Chacun allait devoir voter en conscience.

L’incertitude était donc totale ?
J’ai compris ce jour-là pourquoi Mendès-France, Mitterrand, Edgar Faure et d’autres avaient tellement aimé la république parlementaire. J’ai vu des choses étonnantes, des conciliabules dans les embrasures, des alliances improbables, communistes et démocrates chrétiens par exemple. Maurice Schumann, grand abolitionniste, m’a glissé à l’oreille, en vieux routier, qu’il ne fallait pas finir dans la nuit : « Ils sont fatigués, vous allez à l’échec. » 

Vous n’aviez pas été tenté par la procédure d’urgence ?
Après deux siècles de débats, on ne pouvait pas demander l’urgence. C’eût été se moquer du monde. Le matin du 30 septembre, un dernier amendement a été présenté : l’abolition sauf pour les crimes atroces. Ce qui voulait dire : on n’abolit pas. Il était soutenu par Edgar Faure et Etienne Dailly. L’amendement fut repoussé. Schumann m’a fait passer un mot : « Il faut terminer tout de suite. » À 12 h 50 la victoire était acquise. J’ai regardé la place qu’occupait Victor Hugo. « L’abolition pure simple et définitive », disait-il en 1848. C’était fait. La peine de mort était abolie.

Propos recueillis par Bernard LE SOLLEU.


Ce vendredi 7 octobre 2011 : Ouest France numéro spécial abolition de la peine de mort.
   
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